Lueur des images, chaleur des écrans, à propos d’imprégnation médiaticotechnique

Vidéo • Affect • Écran • Appareillage • Plasticité
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Lueur des images, chaleur des écrans, à propos d’imprégnation médiaticotechnique
Durée : 17:33 min
Écrit, réalisé, monté par Carole Nosella

Cette vidéo, entre forme plastique et essai poétique, propose de parcourir, de façon subjective, certains des effets esthétiques de l’imprégnation médiaticotechnique sur nos corps et nos relations aux autres. Cette proposition naît de l’expérience d’échanges en appel vidéo, pratique ayant largement remplacé nos rencontres physiques depuis le début de la crise sanitaire, ce qui la rend plus apparente. Nos relations interpersonnelles passent actuellement pour une grande part par le biais des écrans, et parfois, quand la lumière environnante est faible, nos visages s’éclairent uniquement grâce à ces dispositifs conversationnels. Leur luminosité colore nos échanges, elle est aussi le reflet de notre propre présence. À la chaleur tiède de ce contact partiel, se mêle la lumière que notre peau renvoie sur le visage de l’autre. Ainsi en vient-on à se réchauffer à la lueur des écrans.

La dimension affective des images numériques en circulation est éclairée par l’œuvre de Jacques Perconte, I love you, 38 degrès (2004). Détaillant son processus de création, l’artiste pointe les relations qui se nouent entre les corps et les machines quand il s’agit d’amour1. Cette pièce réalisée aux débuts des années 2000 permet de penser ce qui nous arrive aujourd’hui, tant y est saisie la notion même d’appareil telle que la définissent Jean-Louis Déotte et Daniel Payot :

On considérera comme un appareil toute technique qui développe un jeu autonome sur la perception et la sensibilité et, affectant une singularité, la transforme. L’affect est le principe de la renversion du passif en actif : affecté par une rencontre, le corps reconfigure ses habitudes, gestes, discours2.

En écho au travail de Jacques Perconte, sont abordées d’autres pistes plastiques que j’ai moi-même explorées. Peindre à partir de photographies de visages éclairés par des écrans permet de donner forme à ces phénomènes ou s’entremêlent corps et appareillage. L’attention nécessaire à la reproduction des détails de l’image rompt avec la labilité du flux numérique. Prendre le temps de peindre ces visages a pour effet de rendre plus apparente la charge affective qui perdure en eux.

Le flou est un autre moyen de faire voir les phénomènes esthétiques que produisent les appareils par la double action de leur dimension matérielle et logicielle (dispositif de caméra frontale mais aussi interfaces des médias sociaux), il permet de pointer le devenir « lueur » de ces contenus médiatiques liés à leur appareillage technique.

On quitte alors les visages pour se concentrer sur cette lueur qui subsiste quand la figuration disparaît. Cette lueur est celle d’un ailleurs que l’on cherche à travers la consultation de nos smartphones. Cet ailleurs, cependant, n’est pas qu’une échappatoire mais aussi la possibilité d’une rencontre. Si l’écran est une fenêtre, ce n’est plus seulement un point de vue sur le monde, mais sur les mondes de chacun.e : on partage un moment vécu pour se faire signe, de là où on est. En définitive qu’il s’agisse de nos visages ou bien de nos environnements, l’imprégnation médiatico-technique qui est ici pointée se produit parce qu’il y a une adresse. C’est peut-être parce que les images ont une destination qu’elles nous affectent3 de la sorte.

2 Carole Nosella, Sans titre (Marie), peinture à l’huile sur toile, 30 × 30 cm, 2020
3 Carole Nosella, Sans titre (Akim), peinture à l’huile sur toile, 30 × 30 cm, 2020

Œuvres citées par ordre d’apparition, visibles en ligne :

Le Moment Fabriqué, Alan Butler L’image débridée. L’expérimentation audiovisuelle et la télévision en France (1961-1992), Fleur Chevalier